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La couleur du rhum

La couleur du rhum se présente en un éventail très riche, allant de la transparence totale au noir le plus profond. Pourtant, à la sortie de l’alambic, les rhums sont invariablement translucides, sans aucune exception. C’est au contact du bois qu’ils gagnent plus tard des teintes différentes, plus ou moins soutenues, plus ou moins riches.

Les rhums blancs

Les rhums blancs sont donc en principe des distillats qui n’ont pas été vieillis. Ils ont été reposés en contenants inertes, tels que des cuves inox, des dames-jeannes en verre, ou même parfois des récipients en terre cuite. Lorsqu’ils ont été stockés dans de grandes cuves de bois de plusieurs milliers de litres, ils peuvent arborer une légère teinte. Celle-ci est très subtile, car dans ces immenses contenants, la surface de contact du bois est minime par rapport au volume total.

Première exception à la règle : les rhums blancs vieillis en fût. Comment est-ce possible ? Le grand classique cubain, le Havana Club 3 ans, est un parfait exemple de cette catégorie. Après un vieillissement de 3 ans en fûts de chêne américain, il a acquis une teinte ambrée qui lui a été retirée par la suite à l’aide d’une filtration au charbon actif. Il conserve ainsi les arômes du rhum vieux, tout en étant simplement revêtu d’une très légère couleur paille.

L’intérêt de cette pratique est surtout visuel, dans le cadre d’une utilisation en cocktails. Le rhum peut-être mélangé en Daïquiri par exemple, et ainsi offrir à la fois une robe lumineuse et une gamme enrichie d’arômes.

Pendant longtemps, le rhum a d’ailleurs été classé en fonction de son utilisation par les bartenders. On distinguait avant tout 3 grandes catégories : les rhums blancs, ambrés et bruns. Si cette classification est intéressante en mixologie, elle ne reflète cependant en rien la valeur ni la qualité d’un rhum. Avec la montée en gamme du rhum et son affirmation en tant que spiritueux de dégustation, on essaie aujourd’hui de s’affranchir de cette classification. On parle plutôt de style ou de mode de fabrication.

Les rhums vieux

Comme nous l’avons vu, la couleur du rhum fait suite à un échange entre le bois du fût et le liquide. Ce sont les tanins, solubles dans l’eau et l’alcool, qui migrent du bois vers le liquide durant le vieillissement. Encore une fois, les apparences sont trompeuses. On pourrait penser que plus le rhum est foncé, plus il a passé du temps en fût, et donc meilleure est sa qualité. Il se trouve que la réalité est bien plus complexe.

 

L’influence du travail de tonnellerie

Le choix du fût est l’un des paramètres fondamentaux envisagés par le maître de chai lorsqu’il imagine une future cuvée. Cela commence par les différentes essences de bois (le plus souvent de chêne). Le chêne américain par exemple, a tendance à donner des teintes ambrées qui avec le temps vont jusqu’à l’acajou, avec des nuances rouges. Le chêne français quant-à-lui, apporte typiquement des couleurs dorées plus ou moins profondes.

La taille du tonneau est également une variable sur laquelle on peu jouer. Plus celle-ci est réduite, plus le ratio bois / liquide est faible. C’est-à-dire que dans un petit fût, la surface de rhum en contact avec le liquide est plus importante. On a une plus grande proportion de tanins extraits dans le rhum, donc davantage de couleur.

Les tanins ne sont pas les seuls responsables de la couleur. La préparation du fût avant le vieillissement a aussi un impact très important. Au passage, si vous souhaitez en savoir plus dans ce domaine, rendez-vous sur notre article consacré à la tonnellerie.

Lors de leur montage, les barriques bénéficient d’une chauffe qui permet de les assembler. Celle-ci vient par ailleurs caraméliser les sucres contenus dans le bois. On peut même pousser cette caramélisation en réalisant une chauffe dite aromatique, plus intense, aussi appelée bousinage. La réaction de Maillard, à l’origine de la caramélisation, produit aussi bien des arômes (torréfaction, vanille, épices…) qu’une couleur brune, qui elle-aussi se transmet au liquide. Naturellement, plus le fût est chauffé, plus il donne de la couleur au rhum.

Les fûts d’occasion

La teinte du rhum peut aussi provenir de l’alcool qu’a précédemment contenu le fût. L’utilisation de fûts d’occasion est largement répandue, et même majoritaire. Les fûts ex-bourbon, mais aussi ex-cognac ou ex-sherry sont très courants. Bien que les fûts soient vidés avant une nouvelle utilisation, ils ont absorbé une quantité non négligeable de l’alcool précédent. Celle-ci entre elle-aussi dans les échanges bois / rhum durant le vieillissement. Par exemple, les fûts de sherry, de porto, ou encore de vin rouge apportent une teinte soutenue qui s’éloigne de la gamme ambrée habituelle. L’obscurité des nuances rubis ou rosées qu’ils apportent s’accentue même avec l’oxydation qui se développe durant la maturation.

La durée d’utilisation du fût

Dans ce contexte, l’âge du fût est également crucial. Lorsque le fût est neuf, il contient encore une grande quantité de tanins, même si une bonne partie d’entre eux a déjà été évacuée lors de la préparation en tonnellerie, et même encore plus tôt, en merranderie (voir notre article sur la Tonnellerie Allary). En quelques mois, il peut déjà donner beaucoup de couleur. Cet apport est également fonction du degré de mise en fût. Plus le taux d’alcool est élevé, plus l’extraction des tanins est importante. Voilà une nouvelle variable parmi les dizaines de décisions que prend le maître de chai tout au long de la production.

Ensuite, au gré des passages successifs d’autres alcools ou de rhum, les tanins se font plus rares. On dit familièrement que le fût est de plus en plus « rincé ». Le fût est alors prêt pour de plus longues périodes de maturation où le rhum s’oxygène et se modifie lentement au lieu de puiser activement les composés du bois. Si le rhum effectue la majorité de son vieillissement dans un fût de 2ème, 3ème, voire 4ème remplissage, il peut alors y passer 20 ans et n’arborer qu’une légère couleur paille. À l’inverse, un rhum vieilli 2 ans en fût neuf peut être pratiquement noir et opaque.

L’endroit du vieillissement

Enfin, l’endroit où le rhum vieillit a aussi une incidence décisive. La chaleur joue un rôle dans la solubilité des tanins, et donc dans leur extraction par l’eau et l’alcool. Rappelons au passage qu’un rhum à 40 % d’alcool est également composé de près de 60 % d’eau. Le rhum a donc tendance à être plus foncé, plus vite, lorsqu’il vieillit sous climat tropical. C’est aussi le cas lorsque le fût est placé en haut du chai, sous les toits. Les rhums Montebello maximisent par exemple ce phénomène, en plaçant leurs fûts dans d’anciens containers de transport laissés sous le soleil de Guadeloupe.

Les colorants

Dernier responsable de la couleur du rhum, qui ne vient pas du fût cette fois-ci : le colorant. D’emblée, on peut estimer que cela revient à tricher, mais il est possible de nuancer ce jugement. Nous avons plusieurs cas de figure sur ce sujet, pour différentes utilisations :

Rehausser la robe du rhum

Malgré les efforts d’informations envers le public (auxquels nous participons modestement avec cet article), il existe un biais chez les consommateurs qui estiment que la valeur d’un rhum tient à sa couleur. C’est donc une question de qualité perçue, à laquelle les producteurs répondent parfois en « boostant » la robe de leur rhum à l’aide de colorants.

Le colorant le plus souvent employé est le e150a. C’est un caramel très concentré (amer et non sucrant) dont une légère touche suffit à colorer des centaines de litres. On peut aussi avoir recours (même si c’est moins avoué) à une méthode traditionnelle issue du monde du cognac : les boisés. Ces concentrés sont fabriqués en faisant bouillir du bois et en réduisant le jus ainsi obtenu. Tout comme les copeaux de bois ajoutés dans les fûts, cette pratique a aussi et surtout un objectif d’aromatisation.

Assurer la constance et la continuité

Lorsque le maître de chai réalise un assemblage de plusieurs fûts (voir notre article sur l’art du vieillissement des rhums), il faut savoir que chacun d’entre-eux est unique et qu’aucun ne donne la même couleur. Imaginez donc devoir réaliser le même assemblage, avec le même profil aromatique, la même couleur, année après année. C’est une véritable prouesse. Les profils aromatiques évoluent chaque année en fonction d’une infinité de critères. On imagine alors aisément qu’il en est de même pour la couleur. Afin de ne pas avoir des bouteilles d’un même produit qui auraient des teintes différentes sur un même rayonnage, on autorise un ajustement afin de lisser la production et offrir de la constance aux consommateurs. Cet ajustement est encadré, comme dans l’AOC Martinique qui le limite à 2 % d’obscuration.

On appelle obscuration la différence entre le titre alcoométrique volumique réel (le taux d’alcool, les proportions alcool / eau après distillation) indiqué sur l’étiquette, et le titre alcoométrique volumique brut, mesuré en étudiant la densité du rhum. Quand on constate une différence, c’est que quelque chose vient changer la densité du liquide et perturbe la mesure du degré d’alcool.

De plus en plus de marques n’ont plus recours à la coloration, surtout pour leurs séries limitées. Évidemment, pour les fûts uniques, les petites cuvées ou pour les produits pointus qui s’adressent aux connaisseurs, cette coloration n’est pas nécessaire. Les embouteilleurs indépendants y ont également rarement recours, car ils prônent de plus en plus la transparence, l’éducation du public. Ils travaillent en outre avec de petites séries qui n’appellent pas de lissage.

Les Dark Rums

Les Dark Rums ou les Navy Rums sont quant-à-eux une catégorie à part, où la coloration est de rigueur. L’ajout de caramel ou de mélasse fait partie de leur identité. Les cocktails qui leurs sont consacrés exigent que leur couleur soit extrêmement sombre et prononcée.

Pour les amoureux de spiritueux que nous sommes, la couleur naturelle est plus intéressante. Elle nous dit quelque chose sur l’histoire de notre rhum. Elle est propice à l’étude et aux comparaisons, et nous permet de comprendre par la dégustation l’incidence que peut avoir sur un même rhum l’âge du fût utilisé, l’alcool précédemment contenu, la différence entre un vieillissement continental ou tropical, afin d’affiner nos préférences sur des bases objectives, en connaissance de cause.

 

Il est fascinant de comprendre et d’apprécier le fait que la couleur soit le résultat de multiples choix effectués dans l’orientation du profil aromatique, que ce soit pour donner davantage la parole au distillat, au bois, à l’âge, au milieu, mais qu’en tout cas elle ne dise rien sur la qualité intrinsèque de ce que l’on boit.

2 réflexions au sujet de « La couleur du rhum »

  1. Très tres interessant
    Merci de publier ces données enrichissantes. Aux consommateurs et producteurs le monde du rhum se devoile sur rhumattitude…

    1. Merci beaucoup pour ce retour Marro

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