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L’étape cruciale de la fermentation dans la production du rhum

Que ce soit dans le domaine des rhums agricoles ou dans celui des rhums de mélasse, la fermentation est une étape clé qui va déterminer le caractère final du rhum. Nous y reviendrons plus en détails dans un prochain article, mais il faut savoir que la distillation est en réalité l’art de sélectionner la nature et la quantité des arômes que l’on souhaite obtenir dans notre rhum, en contrôlant leur évaporation et leur condensation à la sortie de l’alambic. Or, c’est lors de la fermentation que la plupart de ces arômes disponibles vont se former, pour être ensuite sélectionnés par le distillateur.

Il s’agit également bien entendu d’obtenir une fermentation alcoolique, c’est-à-dire de permettre aux levures de transformer le sucre contenu dans le moût (pur jus de canne ou mélasse diluée) en alcool. Cet alcool sera concentré lors de la distillation et emportera avec lui tout un tas de molécules aromatiques qui lui sont liées. Certains arômes sont appelés « primaires », car provenant de la matière première, alors que les arômes issus de la fermentation sont les arômes « secondaires ». Les arômes « tertiaires », vous l’aurez compris, sont les arômes obtenus lors du vieillissement.

Préparer la fermentation

Pour la fermentation du pur jus de canne, ce dernier est légèrement dilué lors du broyage des tiges que l’on arrose afin de maximiser l’extraction de sucre. Notons qu’au contraire de la canne destinée au sucre, la canne destinée seulement à la distillation de rhum est récoltée un peu avant sa maturité complète. Il faut que la tige ne soit pas à son maximum de sucre afin qu’il y subsiste des éléments autres dont vont se nourrir les levures tout au long du processus.

(c)Compagnie Des Indes

La mélasse est également diluée, et même de façon plus importante car sa consistance très visqueuse va devoir être liquéfiée pour l’étape suivante de la distillation. Environ 50% de sa matière est composée de sucre, donc la moitié restante suffira à nourrir les levures.

Un point très important et plutôt délicat est celui de l’acidité. Pour produire des molécules aromatiques, les levures vont lier des acides à l’alcool qu’elles produisent. Cependant, trop d’acidité peut empêcher une bonne fermentation, et d’un autre côté un manque d’acidité peut favoriser des bactéries qui vont être à l’origine d’arômes indésirables ou qui vont empêcher la formation d’alcool. Toutefois, certaines bactéries sont nécessaires à l’apparition d’arômes intéressants, et on ne cherche pas forcément à les éradiquer. On cherche donc avant tout l’équilibre en ajoutant de l’acide en quantités bien étudiées et adaptées au milieu.

La température est également contrôlée car une trop grande chaleur « endort » les levures et conduit à des baisses de rendement en quantité ainsi qu’en arômes.

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Traditionnellement, avant l’industrialisation, on laissait libre cours à la fermentation naturelle et sauvage (spontanée), à l’aide des levures naturellement présentes dans l’environnement. Mais ces fermentations donnaient des résultats aléatoires, elles prenaient du temps et n’offraient pas des rendements suffisants. On a ensuite utilisé les écumes qui se formaient à la surface des cuves pour les réintroduire à la prochaine fermentation. Les résultats ainsi obtenus étaient plus réguliers mais encore imparfaits. On a donc décidé de maîtriser davantage le processus en introduisant des levures industrielles, la plupart du temps de boulangerie ou de brasserie.

Certaines distilleries comme Neisson ont sélectionné et développé leurs propres souches de levures endémiques et traduisent ainsi au mieux leur terroir.

On élève et on entretient des levures dans des cuves mères, puis on ensemence les cuves de fermentation avec des levures bien concentrées et acclimatées au milieu, pour que la fermentation commence !

Les rhums légers et les rhums lourds

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Une distillerie est souvent capable de produire différents types de rhum, soit pour proposer des rhums destinés à différents types de consommation (cocktails vs dégustation), soit pour réaliser des assemblages équilibrés. Pour cela, elle peut produire des rhums légers ou des rhums lourds. On fait parfois la confusion entre un rhum léger en alcool et un rhum léger en arômes.

Dans le monde du rhum, les rhums légers sont des rhums qui ont une quantité réduite de molécules aromatiques ou bien des rhums dont ces molécules sont très volatiles.

À l’inverse, un rhum lourd sera un rhum très concentré en arômes, ou un rhum dont les molécules aromatiques seront très lourdes.

 

C’est en grande partie lors de la fermentation que l’on va décider de produire un rhum léger ou un rhum lourd, et voici quelques façons d’influer sur le résultat :

Stérilisation de la matière première : si le pur jus ou la mélasse est débarrassée de bactéries, les levures vont produire un alcool très pur et donc un rhum léger.

L’ajout de levures en masse pour tuer toute compétition bactérienne, afin de produire un rhum léger.

– Le contrôle de la température : plus la température est basse, plus la fermentation produira des molécules aromatiques, et donc un rhum lourd.

– La fermentation en cuve fermée ou en cuve ouverte : l’enjeu est d’admettre ou non une contamination bactérienne. Moins il y a de bactéries, plus le rhum sera léger, et inversement. Notons que le pur jus de canne est naturellement plus riche en bactéries héritées de l’écorce et de la fibre de la canne. La mélasse est un produit industriel cuit plusieurs fois, elle comporte beaucoup moins de bactéries, donc un apport est nécessaire dans la plupart des cas.

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La durée de la fermentation : typiquement, plus la fermentation est courte et plus le rhum sera léger. Les fermentations de rhums très légers durent en moyenne 12h, contre 24 à 72 heures maximum pour le rhum AOC Martinique, et une semaine voire 10 à 15 jours pour certains rhums Jamaïcains par exemple. Encore une fois, c’est pendant cette durée que les levures livrent bataille avec les bactéries et que les arômes se créent.

Toute la difficulté est de trouver le bon équilibre, c’est-à-dire d’obtenir les meilleurs rendements en temps et en quantités sans sacrifier les arômes, le caractère et la typicité des rhums. En d’autres termes, c’est là que se trouve la limite entre rentabilité et respect du produit et des consommateurs.

Attention, il ne s’agit pas de créer la division entre rhums légers et rhums lourds, chacun ayant son intérêt selon son mode de consommation et son utilisation dans un assemblage. Mais l’épuration à l’extrême, si elle est rentable, présente le danger d’ôter toute la personnalité et toute la spécificité de ce qu’est un rhum.

Les high esters et les grand arôme

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Les rhums dits « high esters » sont des rhums de mélasse très lourds et très concentrés qui souvent dépassent de loin les rhums traditionnels classiques en termes de concentration aromatique. Pour être un peu technique, un rhum traditionnel comporte au moins 225 grammes d’éléments non alcool par hectolitre d’alcool pur, alors qu’un high ester en comporte au moins 500 (les plus chargés en comportent 1500).

Ces rhums ultra concentrés sont destinés à rehausser des assemblages, et même à d’autres domaines comme l’agro-alimentaire où ils entrent dans la composition d’arômes de pâtisserie etc.

 

Ce sont les techniques de fermentation qui sont avant tout à l’origine de ces types de rhum. Tout est mis en œuvre pour que cette fermentation soit la plus efficiente possible en termes d’arômes : la durée, le contrôle de la température, la contamination bactérienne…

Ce sont souvent des distilleries de tradition anglaise qui pratiquent ces high esters : Saint Lucia Distillers, Long Pond, Demerara Distillers Limited…etc. Pour connaitre la différence entre les différentes traditions, retrouvez notre article sur la fabrication du rhum et les styles de rhum.

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Dans cette catégorie des high esters, on trouve une famille héritée des premiers temps du rhum : les rhums grand arôme. Leur principale singularité est qu’au lieu d’utiliser de l’eau et des acides pour diluer et préparer le moût, on emploie de la vinasse (résidu très acide des distillations précédentes). La fermentation est spontanée, sans ajout de levure extérieure, ce qui signifie que la pièce où se déroule la fermentation est un bouillon de culture, un écosystème bâti pendant des dizaines d’années où les bactéries et les levures sont partout. Elles vont se livrer bataille pendant 1 à 2 semaines et vont ainsi produire des alcools complexes et concentrés (sous l’effet du stress de cette bataille, les levures lient encore plus d’acides aux alcools, ce qui produit encore plus de molécules aromatiques).

Seules 3 distilleries pratiquent encore cette fermentation à l’ancienne : Le Galion en Martinique, Savanna à La Réunion et Hampden en Jamaïque.

Les rhums « primitifs » ou très artisanaux

Certains distillateurs travaillent encore comme aux premiers temps du tafia et de la guildive, avec des fermentations spontanées, longues et très peu contrôlées. C’est le cas des Clairins d’Haïti, du grogue du Cap-Vert, ou de petits distillateurs d’Amérique du Sud comme les Mexicains de Paranubes. Leurs rhums sont très aromatiques mais leurs rendements sont bien plus faibles et plus aléatoires que dans les distilleries à plus grande échelle où la fermentation est maîtrisée et rationalisée.

Il en ressort des produits très authentiques, différents d’une année à l’autre et même d’un « batch » (cuvée) à l’autre, ce qui les rend particulièrement attachants.

7 réflexions au sujet de « L’étape cruciale de la fermentation dans la production du rhum »

  1. Magnifique article,

    1. Merci pour Nico (le rédacteur)

  2. Excellent article qui répond à toutes mes questions !

    1. Merci !

  3. Très bon article. Merci.
    Ça donne envie de faire des essais avec la cachaça!

    1. Merci Raul pour ce commentaire, et surtout merci pour votre cachaça dont nous sommes de grands amateurs !

  4. j’ai bien apprécié votre document, à moi d’essayer la production du rhum. Merci.

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