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Interview de Richard Seale, patron de la distillerie Foursquare, sur la classification des rhums

Introduction  : vers une nouvelle classification des rhums

Il est de plus en plus difficile pour le consommateur de se repérer dans l’océan des rhums qui lui sont proposés. On a aujourd’hui tendance à les classer par provenance, ou plutôt par « tradition ». Plus clairement : par ex pays colonisateur (Notez que l’on a quand même progressé depuis la classification « Rhum brun / Rhum blanc »). Ainsi on peut distinguer les grandes familles que sont les styles espagnols, anglais et français, chacune représentant des profils caractéristiques. Dans la plupart des cas il faut bien avouer que cela fonctionne plutôt bien. Sauf qu’il y a désormais trop d’exceptions. Et de plus en plus. La mondialisation aidant, la provenance d’un rhum n’implique plus forcément une matière première associée à une technique d’élaboration, et inversement. La classification par tradition perd donc grandement en pertinence.

Cette confusion laisse l’amateur perplexe, voire méfiant, car il ne sait plus à quel saint se vouer. Le rhum y perd par là même en crédibilité et en considération. Ce manque de repères laisse place à toutes les libertés et extravagances. L’extravagance n’est pas un problème en soi (et encore moins la liberté), « rum is fun » comme on dit, mais il s’agit de ne pas entretenir un flou qui, justement, viserait à flouer le consommateur. Ce dernier a le besoin et le droit de savoir ce qu’il achète, comme il a le droit de décider en son âme et conscience de ce qu’il a envie de boire.

Paradoxalement, alors que les rhums « premium » foisonnent, on ne sait pas quels sont les critères qui définissent un rhum authentique et de qualité. Luca Gargano de la maison italienne Velier et Richard Seale de la distillerie Foursquare de la Barbade œuvrent déjà depuis plusieurs années à une plus grande transparence et proposent des rhums sans aucun ajout, que ce soit de sucre ou d’arômes artificiels. Beaucoup de producteurs et embouteilleurs adhèrent maintenant à cette démarche et les étiquettes des bouteilles sont de plus en plus riches en informations. Ces deux passionnés et grands professionnels du rhum ont décidé d’aller plus loin en proposant une classification objective, avant tout basée sur la méthode de distillation, principal facteur d’authenticité. Voici donc les catégories suggérées :

  • Pure single rum: Un rhum provenant d’une seule distillerie, issu d’un alambic traditionnel à repasse, à partir de mélasse ou de pur jus de canne (dans ce cas on parle de « Pure single agricole rum »).
  • Single blended rum: Un assemblage de rhums produits en alambic traditionnel à repasse et de rhums produits en colonne traditionnelle, provenant d’une seule distillerie.
  • Rhum traditionnel : Un rhum de mélasse distillé dans une colonne traditionnelle.
  • Rhum agricole : Un rhum de pur jus de canne distillé dans une colonne traditionnelle.
  • Rhum : Un rhum produit en colonnes de distillation multiples et modernes, au sein d’une installation plus ou moins grande.

Notre interview de Richard Seale

Qui de mieux que Richard Seale et son franc-parler pour nous parler de ce projet ambitieux ? Voici un échange qui vous aidera à comprendre la philosophie de la démarche.

Quel est l’objet de cette classification et quels en sont les enjeux ?

Richard :

Actuellement le rhum a des difficultés à véhiculer correctement une valeur intrinsèque. Ni la couleur ni la tradition d’origine ne peuvent indiquer si un rhum est produit de manière artisanale (distillation discontinue) ou à l’échelle industrielle, par des usines multi-colonnes. Cette situation nous a menés à une approche marketing des rhums premium à l’image de celle de la vodka, où l’emballage est le seul indicateur de valeur. Certains rhums prétendent être premium sur la base de leur packaging alors qu’ils sont produits à échelle industrielle, qu’ils ont des saveurs très médiocres (sinon inauthentiques), et des indications d’âge ambiguës.

On connait finalement mal ce qu’est la saveur authentique d’un rhum. Les amateurs n’ont pas les clés leur permettant de savoir qu’un pur rhum issu de pot still (alambic à repasse) représente la saveur authentique du rhum, contrairement à un alcool neutre très trafiqué qui serait également étiqueté comme rhum. La classification permettra de guider les amateurs en matière de valeur et d’authenticité.

Cela permettra également une évaluation appropriée des rhums de la part des passionnés, journalistes et jurés de concours. A ce jour, un juré peut avoir à comparer un rhum Jamaïcain corsé à un rhum léger Portoricain simplement parce qu’ils sont tous deux « ambrés ». Dans une recette de cocktail qui indique « rhum ambré », le résultat variera grandement selon le choix que l’on aura fait entre ces deux rhums.

Où cette classification est-elle censée apparaitre ? Sur les étiquettes, dans les boutiques… ?

Nous l’intégrons progressivement à nos étiquettes et d’autres acteurs qui soutiennent l’initiative nous rejoignent. Toutefois, ses principaux utilisateurs seront les amateurs, les journalistes et les concours. C’est avant tout un outil qui leur est destiné. Ils pourront l’utiliser dans leurs écrits et dans l’organisation des catégories d’évaluation.

Travaillez-vous dans le sens d’une reconnaissance officielle ?

Non, cependant une certification de type AOC pourrait voir le jour dans un pays en particulier.

Avez-vous été en contact avec des entités comme ACR (Authentic Caribbean Rum : Un label qui impose déjà certaines règles garantissant l’authenticité) par exemple, et comment perçoivent-ils la chose ?

La campagne ACR sert de trop nombreux intérêts contradictoires. Je ne m’attends pas à ce que tous ses membres l’adoptent.

Comment expliquer au grand public qu’il ne s’agit pas d’un « jugement de valeur » ?

C’est bien un jugement de valeur. Ce n’est pas un ordre de préférence ou de qualité.

Avez-vous prévu d’accompagner les distributeurs qui seraient prêts à relayer cette classification, par le biais de formation etc ?

Luca Gargano et moi dispensons des formations chaque fois que nous en avons l’occasion. J’ai fait une présentation au Whisky Exchange en début d’année et tout le monde s’est montré enthousiaste.

J’ai pu voir plusieurs pistes concernant la dernière catégorie (Rhum industriel, Rhum moderne, Rhum). Est-ce que le choix d’une dénomination est arrêté aujourd’hui ?

Oui, ce sera simplement « Rhum ». Toutefois, les termes « Rhum moderne » ou « Rhum industriel » pourront aussi être employés pour montrer que ce genre est récent d’une part, puisqu’il a été développé ces 40 dernières années à peu près, et d’autre part invariablement produit à l’échelle industrielle.

Pendant que nous y sommes, trois nouveaux produits de Foursquare sont disponibles depuis peu (La finition en fût de Porto, l’assemblage fût de Zinfandel / fût de bourbon et le Brut de fut 2004), pouvez-vous nous en dire un mot ?

Ces trois rhums sont limités en quantité. Nous avons expédié les derniers Porto mais ils devraient être encore disponibles sur le marché pour quelques mois encore. Les retours sur le Zinfandel ont été incroyables. Le Zinfandel et le 2004 ont tous deux remporté une médaille d’or aux principaux concours Londoniens : l’ISC (International Spirits Challenge) et l’IWSC (international Wine & Spirits Competition). Le 2004 a également remporté un trophée à L’ISC.

Ce qui me fait particulièrement plaisir, c’est que ces rhums représentent deux approches opposées : le 2004 est à l’ancienne, vieilli seulement en ex-fûts de bourbon, la partie pot still dominant le profil aromatique (NDLR : Les rhums de la distillerie Foursquare sont des assemblages de Rhums issus de pot still et de colonne. Je vous laisse les placer dans la bonne catégorie, pour voir si vous avez bien suivi !). Le Zinfandel quant-à-lui est plus expérimental, je me suis amusé à mettre le rhum à vieillir dans d’anciens fûts de vin. A l’arrivée, les rhums ont du succès auprès de différents publics.

 

Merci à Richard d’avoir partagé avec nous l’esprit de cette classification. Sachez que Rhum Attitude est sur le point de l’adopter pour classer les rhums de sa boutique en ligne…

 

Nico, de l’équipe Rhum Attitude

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